
« Plus une personne a la capacité d’exercer son autodétermination, meilleure va être sa qualité de vie ».
Titulaire de la chaire Autodétermination et Handicap à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Martin Caouette intervient depuis 15 ans dans des établissements médico-sociaux. Professeur, chercheur, formateur et psychoéducateur spécialisé dans le secteur du handicap en France et au Canada, il a notamment participé à la série de podcasts Agir pour l’autodétermination de François Bernard, Directeur général du GAPAS.
Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler sur l’autodétermination des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ?
Martin Caouette (M.C.) : En tant qu’éducateur spécialisé, j’ai accompagné pendant un certain nombre d’années des personnes en situation de handicap, ayant notamment une déficience intellectuelle. J’ai rapidement constaté que même si on cherchait à faire en sorte qu’elles gèrent leur vie et expriment leur préférence, finalement, les professionnels décidaient pour elles.
Au fil de lectures anglophones qui abordaient le sujet de l’autodétermination, je me suis approprié ce concept : une façon d’accompagner les personnes, plus respectueuse de leur droit, valorisant leur pouvoir d’agir et ce qu’elles sont.
Pourquoi l’autodétermination est si importante ?
M.C. : Sur le plan scientifique, on sait que plus une personne a la capacité d’exercer son autodétermination, meilleure va être sa qualité de vie. Sur un plan éthique, c’est aussi une façon de promouvoir le droit des personnes, de leur permettre d’avoir une vie en toute dignité où elles ne sont pas limitées et dirigées par l’extérieur mais où on accorde de l’importance à leur parole.
Quels peuvent être les freins à l’autodétermination ?
M.C. : L’un des freins les plus importants sont les croyances et les préjugés que l’on peut avoir à l’encontre des personnes âgées ou handicapées. Si j’ai l’impression que la personne ne sait pas vraiment ce qu’elle dit, qu’elle n’a pas la capacité à faire des choix ou que ceux-ci ne sont pas légitimes, alors je ne prends pas le temps de l’écouter, de la comprendre.
De même, en voyant une personne handicapée comme quelqu’un de complètement différent de moi, je ne prends pas conscience que mes besoins sont aussi les siens. La question du rythme est également essentielle : si je veux soutenir l’autodétermination d’une personne âgée ou d’une personne handicapée, je dois adopter son rythme qui peut être plus lent.
La question de la sécurité revient souvent lorsqu’il s’agit de personnes âgées ou en situation de handicap…
Tout à fait. Parfois, on les voit comme si elles n’étaient que fragiles et qu’il fallait les envelopper dans de la ouate pour les protéger. On surprotège et en surprotégeant, on crée davantage de vulnérabilité. La difficulté à composer avec le risque est nécessaire. Il y a une expression que j’aime beaucoup, c’est « la dignité du risque ». Elle dit qu’une vie digne c’est aussi une vie où on a la possibilité d’affronter certains risques.
Comment lever ses freins ?
M.C. : Il faut d’abord les identifier en fonction du contexte (âge, handicap, etc.) et puis se mettre à la place de l’autre. Concrètement, les professionnels doivent avoir des espaces de réflexion pour s’interroger sur les moyens de soutenir l’autodétermination lors des repas ou pendant les loisirs. Il faut se doter d’outils et mettre en place des pratiques.
Dans le cas de l’alimentation, impliquer directement les principaux concernés est nécessaire. Une personne âgée ou en situation de handicap doit pouvoir exprimer des préférences alimentaires mais choisir aussi avec qui elle veut partager ce moment. Au cours d’un repas, il peut y avoir plein de comportements autodéterminés comme prendre l’initiative de se resservir, se demander si l’on a assez mangé, être capable de refuser un plat dont on n’a pas envie.
Les convives doivent aussi pouvoir s’autoréguler, avoir la capacité de s’ajuster. Par exemple, réduire sa consommation du plat principal pour profiter d’un bon dessert. Cette capacité à s’ajuster fait partie de l’autodétermination. Et puis le repas, c’est aussi la relation à l’autre. Quand on passe un bon moment à table avec d’autres personnes, le repas peut avoir un impact sur la qualité de vie.
Ces freins résultent-ils aussi d’un problème de moyens financiers ?
M.C. : Les moyens financiers sont un enjeu mais ce n’est pas parce que l’on triplerait les budgets que subitement il y aurait plus d’autodétermination. La question est : comment utilise-t-on le financement afin de permettre aux professionnels d’avoir plus de temps avec les résidents ? Je dis souvent à mes étudiants que l’une des premières choses à faire c’est de ralentir pour observer, écouter plus, parler moins, savoir poser des questions. Ce sont des attitudes, des façons d’être, un rapport à l’autre qui dépendent surtout de la formation du personnel.
Avez-vous des exemples concrets ?
M.C. : Certains établissements valorisent la participation des résidents à la préparation des repas. L’objectif est que chacun participe à sa mesure C’est tout simple mais cela enrichit la qualité de vie des patients. Ça permet de dire : merci à toi qui nous a aidés à préparer ce plat. Ailleurs, d’autres innovations intéressantes sont mises en place. Je vois des professionnels qui déploient des trésors d’imagination pour faire évoluer les choses. Il serait intéressant de partager ces bonnes pratiques : il faut des sources d’inspiration pour imaginer des solutions !